bureau d'études
actuels potentiels présentation liens


présentation

Bureau d’études, travailleur social

par David Cascaro

Bureau d’études, CV



Bureau d’études, travailleur social
par David Cascaro

En définissant Bureau d’étude comme un collectif d’artistes s’intéressant aux enjeux économiques de la société globale, on commet une double méprise. D’abord on prend le risque d’enfermer ses membres dans le statut — à la fois très romantique et très vague — d’artiste. Ensuite on considère que leur champ d’intervention — l’économie globale – est un sujet parmi d’autres, comme certains artistes s’intéressent au paysage, au corps, à l’identité ou encore au rêve.

Tout en assumant leur condition d’artistes, leur formation en école d’art et la diffusion d’une partie de leur travail dans des lieux consacrés à l’art contemporain (musées, galeries, centres d’art) — et par conséquent une légitimation par la critique d’art—, les membres de Bureau d’études envisagent leur activité en dehors du secteur restreint de l’art contemporain. Ils n’attendent pas spécifiquement que leur activité soit qualifiée d’artistique. De même, les objets et les réflexions qu’ils produisent n’ont pas vocation à devenir des śuvres d’art. La reconnaissance qu’ils attendent tient plus dans l’écoute de leur interlocuteur quel qu’il soit que dans l’adoubement par une instance supérieure.

En revanche, il est certain que leur expérience vécue de la situation économique des artistes plasticiens constitue un point de départ de leur activité. Et contrairement aux artistes des années 60/70, il ne sont pas obsédés par la récupération de leur travail par le milieu de l’art contemporain. Bureau d’études peut aussi revendiquer l’image de marginaux que les artistes continuent de véhiculer. Non comme représentant des exclus de la société mais plutôt comme alliés des mouvements sociaux alternatifs (comprenant aussi bien un club politique, un groupe d’action directe ou un comité d’experts). Regroupant des artistes avec des moyens d’intellectuels, Bureau d’études apparaît aussi comme un collectif d’intellectuels s’exprimant avec des outils visuels (sinon artistiques). C’est pourquoi la question de savoir si ce qu’ils font est de l’art ou non devient vite secondaire.

Dans tous les cas, si l’on doit chercher l’art dans leurs actions, on le trouvera plus du côté des relations qu’ils auront su établir entre milieux différents et du côté du regard porté sur le monde actuel. Somme toute, ce que n’a jamais cessé d’être l’art si l’on met de côté les questions de formes…

Par conséquent, si on peut rattacher l’existence de Bureau d’études à certain nombre de pratiques et de tendances de l’art contemporain (1), il est nécessaire de convoquer des références extérieures au champ de l’art pour bien appréhender leur action (2).

1 Bureau d’études dans l’art moderne et contemporain

En intervenant dans une école, Bureau d’études confirme sa volonté de sortir l’art contemporain des frontières officielles qui lui sont habituellement affectées (galerie, centres d’art, musée), s’inscrit dans une tradition d’intervention in situ des artistes du XXe siècle, désireux de confronter des śuvres à de nouveaux contextes (géographiques, sociaux). Bureau d’études s’intéresse à ce qu’éduquer, transmettre, former pour intégrer l’univers professionnel signifie aujourd’hui.

Bureau d’études expérimente une nouvelle fois une rencontre impromptue (des artistes et des élèves d’une grande école de commerce) avec le désir réel de collaboration dans une production commune.

L’entreprise est devenu un modèle d’organisation dominant et les artistes s’en emparent soit pour brouiller les pistes (le collectif IFP dans les années 80), soit pour assumer leur intégration dans le champ économique, soit pour de simples raisons pratiques (la société Unlimited Responsability créée par Fabrice Hybert). En adoptant le nom de Bureau d’études, le collectif se donne des allures d’entreprise au fonctionnement rationnel. Bureau d’étude demeure cependant un nom générique, c’est-à-dire préservant un certain anonymat. Cet anonymat est fondamental dans leur refus de signer et s’approprier quoi que ce soit individuellement mais aussi dans la volonté d’associer leurs interlocuteurs à leur production.

On trouve là deux tendances importantes de l’art du XXe siècle:

ß le refus de la figure de l’artiste comme auteur absolu et maître total de son śuvre.

Les dadaïstes (1914-1925) revendiquent l’anonymat et exécutent des śuvres à plusieurs. Le minimal art américain (1950-1970) cherche au maximum à éliminer toute trace de la personnalité de l’artiste.

ß la volonté — conséquente — de voir les spectateurs, visiteurs, témoins, passants et autres personnes à participer aux śuvres.

Les années 60. Les machines de Tinguely que le public est appelé à actionner. Les actions du Groupe d’action visuelle (GRAV) insérant le spectateur dans la découverte du cinétisme. Les années 90. L’invitation à manger des bonbons disposés dans un coin de mur par Félix Gonzales-Torres ou à venir déjeuner avec Rirkrit Tiravanija. L’activation de lieux, personnages, événement par votre simple présence.

Concernant la multiplicité des formes d’expression de Bureau d’études, on pourrait faire appel d’un côté à Picasso faisant feu de tout bois et de l’autre aux artistes conceptuels (1960-1975) faisant des tracts, textes rédigés, photocopies, débats, conférences et manifestations des modes d’expression artistique à part entière. L’utilisation de schémas et de tableaux peut remonter à Marcel Duchamp insérant les plans de ses recherches dans son travail artistique. Mais l’heure de gloire de ces formes arrive dans les années soixante avec des artistes comme Bernar Venet ou Mel Bochner exploitant beaucoup les courbes graphiques et autres équations mathématiques. Certains pourraient aussi rattacher les graphiques de Bureau d’études à la peinture abstraite géométrique ancienne (Mondrian) ou contemporaine (Peter Halley, l’śuvre IK 600 du collectif fordacity© ou encore les cartes de Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet). Bureau d’étude réfute clairement cette dernière association, d’autant moins fondée que ses tableaux ne constituent pas des objets d’art, “peints à la main”, mais de simples cadres explicatifs, reproductibles à l’infini.

Les expériences de l’atelier populaire de l’école des Beaux-arts de Paris de mai 68 ou les actions collectives comme le Salon de la jeune peinture dans les années 70 ont certainement contribué en France à faire de l’agit’prop’ un moyen artistique à part entière. Ayant retiré la dimension provocatrice et violente, Bureau d’études prolonge cette attitude contestataire. Après l’expérience de mai 1968, un certain nombre d’artistes (comme Pierre Buraglio) sont devenus ouvrier et ont renoncé à leur activité artistique trop associée à une position bourgeoise. Aujourd’hui, on peut considérer que ces artistes ont ouvert une brèche et transformé en activité artistique cette sortie du monde de l’art. Le monde du travail n’est désormais plus seulement un sujet artistique mais avant tout le champ d’investigation de tous, y compris des artistes.

L’association des artistes à la vie politique et aux projets de société n’est pas neuve. Sans remonter à David et Géricault, la révolution socialiste a été portée par les avant-gardes artistiques tandis que les années 30 voyaient s’opposer deux réalismes (réalisme socialiste et nationaliste d’un côté, réalisme expressionniste de l’autre) au nom du même idéal de fusion de l’art et de la vie. Les années 60 (Internationale situationniste) ont vu les artistes plasticiens s’engager au-delà des seuls moyens plastiques et les années 70 ont confirmé cette tendance (Joseph Beuys, Hans Haacke) de dénonciation de la société capitaliste. Cependant vite intégrées dans les musées d’art moderne, ces śuvres perdaient de leur force, devenant seulement des śuvres illustrant l’histoire de l’art. Peut-être faut-il voir dans cette crainte les tentatives de Bureau d’études d’investir d’autres secteurs. On pourrait facilement assimiler Bureau d’études à l’association Ne pas plier réunissant des graphistes, photographes et divers acteurs sociaux dans le but de mettre au service de causes sociales (droit au logement, droit au travail) des outils visuels. Bureau d’études ne soutient pas des causes, il contribue à les éclaircir. De ce point de vue, Bureau d’études est plus proche d’un cabinet de veille sociale que d’un groupe d’artistes engagés.

L’exposition Micropolitiques au centre d’art de Grenoble tendait à démontrer en 2000 comment les artistes interviennent aujourd’hui de manière modeste dans le réel, sans gestes marquants (la fin des performances spectaculaires) sans laisser de traces (la fin des “śuvres d’art”) et en utilisant les relations sociales comme principal matériau. Bureau d’études entrerait dans cette catégorie des travailleurs sociaux au sens où le réel est à la fois le champ d’intervention et la matière première de leur activité.

2 Bureau d’études et la société de marché du tournant du siècle

Bureau d’études favorise le droit d’expressions multiples. D’une part en diffusant la pensée de chercheurs alternatifs. D’autre part en organisant des rencontres et des débats qui compensent les effets massifs des médias classiques (presse, télévision et radio) monopolisant les thèmes et les angles de vue.

Bureau d’études interroge et critique l’économie de marché devenue la référence absolue après la chute du bloc communiste (1989) et l’affirmation d’une puissance mondiale unique par la guerre du Golfe (1991). Ne se limitant pas à la critique, Bureau d’études s’intéresse aux formes nouvelles d’organisation de la société (contrats de travail, droits d’auteur, gratuité, revenu d’existence).

Bureau d’études contribue à donner des arguments aux populations (chômeurs, artistes) impuissantes à trouver d’autres modes d’expression que l’action collective (manifestation, grève, etc.).

Bureau d’étude exporte la notion de think tank aux modes de pensées non libéraux.

Bureau d’études perturbe la réalité en instituant des zones de gratuité.

Bureau d’étude perturbe la réalité en défendant des théories remettant en cause le travail.

Bureau d’études se joue des catégories, fuyant tout étiquetage. Bureau d’études est un hybride entre le collectif d’artistes, l’équipe de recherche universitaire, le comité d’experts, le think tank, le groupuscule rebelle, le lobby, le cabinet de conseil, l’agence de communication visuelle, etc.

Il y a un intérêt certain à voir Bureau d’études soulever des questions a priori pas artistiques. En effet, certaines activités considérées comme dangereuses ou pas du tout rentables ne sont prises en charge par aucune structure privée ou publique. Qu’une association, un groupuscule ou des artistes la prennent en charge, peu importe. Seule son expression compte.

CE CITE N'EST PLUS MIS A JOUR
VISITEZ LE SITE DE
L'UNIVERSITE TANGENTE
POUR ACCEDER A DES CONTENUS PLUS RECENTS





contact > bureaudetudes@freesurf.fr, xavier fourt & leonore bonaccini

les données présentées sur ce site peuvent être utilisées de façon anonyme et gratuite par toute personne qui le souhaite...